Sixmille a eu le plaisir de rencontrer Gerda Van Damme, artiste et membre du collectif Grosses Lacunes, qui expose sa série « Études » à La Cellule. Cette exposition, disponible jusqu'au 21 mai, met en lumière le travail singulier de Gerda, qui affectionne tout particulièrement peindre à partir de compositions de photographies et d’éléments divers.

Gerda Van Damme
Gerda Van Damme

  • Pouvez-vous vous présenter et raconter votre parcours ?

  • Je m’appelle Gerda. Je suis flamande, mais cela fait 30 ans que j’habite en Wallonie et je réside à Charleroi depuis environ 7 ans. À mes débuts, je m’intéressais beaucoup à la littérature et j’ai suivi des études de linguistique. Je souhaitais devenir écrivaine, mais mon rêve n’a pas abouti. J’ai travaillé toute ma vie dans la communication et le marketing. Pendant ma jeunesse, j’ai passé quelques années à peindre à l’acrylique. J’exposais mes œuvres et les vendais sur demande. Cependant, lorsque j’ai commencé à travailler, j’ai mis la peinture de côté. J'essayais de m'épanouir dans ls communication pour entreprise, ce qui était tout à fait différent, mais il y avait tout de même un côté créatif.

    En 2016, ma mère est décédée à cause de la maladie de Charcot, une maladie qui entraîne la fonte des muscles et la perte de mobilité. Dans ses derniers moments, elle se trouvait dans une petite chambre et elle avait une des toiles que j’avais réalisées durant ma jeunesse. Elle était incapable de parler, mais elle m’a fait signe de reprendre la peinture en la pointant du doigt. J’ai alors eu un grand déclic. Avant qu’elle ne meure, elle était inconsciente et je lui ai promis, même si je ne pense pas qu'elle l'ait entendu, que j’allais réaliser son portrait et que je l’exposerai chez moi, dans le salon.

    Après son décès, nous avons emménagé près de l’académie de Charleroi. J’ai saisi l’occasion de suivre des cours à l’académie et de concrétiser ce portrait. C’était une retrouvaille avec une passion qui, sans que je m’en rende compte, me manquait profondément.

    La peinture a rapidement pris beaucoup d'importance dans mes journées, mon emploi du temps et mes pensées. En plus de cela, je me suis également inscrite dans un cours centré sur la vidéo. Les anciennes photos de mon passé sont devenues une grande source d'inspiration pour moi. Depuis juin 2023, j’ai adopté le statut d’artiste à temps plein. Bien que la vente de mes œuvres soit plus difficile actuellement, j’aborde cette situation différemment. En tant qu’indépendante complémentaire, je construis progressivement mon parcours artistique et mon expérience dans le marketing me permet d’aborder également le côté commercial de mon activité. Je relève des défis et participe régulièrement à des concours. Cette démarche m’oblige à réfléchir à ma pratique artistique et à élaborer des propositions solides.

  • Toutes vos œuvres sont-elles basées sur des photographies anciennes ?

  • Je m’inspire souvent de mes archives et certaines photos reviennent dans plusieurs de mes peintures. À partir de ces éléments, je construis de nouvelles images en mélangeant des éléments de photographies différentes. C’est pourquoi j’utilise beaucoup Photoshop. Les photos ne sont qu'une base, un point de départ pour créer de nouvelles images.

    Parfois, mon approche est plus littérale. Par exemple, pour les œuvres exposées à La Cellule, j'ai uniquement ajouté les éléments en rouge. Par contre, dans la quatrième œuvre, celle qui est en bas, j'ai combiné deux photos : une classe de ma mère lorsqu'elle était jeune et mon frère des décennies plus tard, lors de sa communion. À travers cette composition, je tente de raconter une histoire de honte imposée par le regard des autres. L'enfant mange une couque, mais on dirait que c'est un cœur. Tous les regards sont dirigés vers lui et pourtant, il est petit et innocent. C'est presque comme s’il se cachait pour manger. J'essaie d'interpeller par cette peinture, mais aussi de raconter une histoire. Est-ce un cœur ou simplement une couque ? Cette œuvre reste ouverte aux interprétations.

    Echevin
    Echevin

  • J'ai vu que vous vous intéressiez à plusieurs disciplines artistiques comme la peinture, la vidéo, les installations et l'art digital. Comment avez-vous commencé à vous intéresser à toutes ces disciplines ?

  • Au départ, il y a 30 ans, je m'intéressais surtout à la peinture. Cependant, au fil de ma carrière dans la communication, j’ai exploré divers domaines. J’ai rédigé des textes pour le marketing, conçu des stands pour des foires et même travaillé sur des vidéos d’entreprise. Cette diversité m’a offert des compétences techniques qui m’ont permis d’élargir mon univers artistique au-delà du simple 2D. Lorsque nous étions jeunes adultes, avec mon mari Guido Janssens, nous avons organisé à deux reprises un événement intitulé « Le Salon de la Naïveté ». D’ailleurs, j'aimerais bien en refaire une troisième édition.

    Je travaillais dans un esprit très naïf à l'époque et je voulais créer quelque chose dans l'esprit des salons de l'impressionnisme. J'avais même réalisé un manifesto du Naïvisme. Il y avait aussi un salon parmi les installations, où j’avais peint une table et des chaises et utilisé divers médias. Une vidéo artistique que j’avais réalisée lors de ce salon a été sélectionnée pour un festival aux Pays-Bas. Un autre espace était dédié à un jardin d’Éden, mêlant peintures, plantes, serpents, audio et diaporamas. Ce projet était multimédia.

    Je suis convaincue que mon parcours professionnel m’a permis d’aller plus loin dans ma démarche artistique. Il y avait une logique depuis le début. Le plus important, ce n'est pas la technicité, c'est l'univers qu'on crée. Je préfère créer un univers en utilisant des médias différents autour d'un thème. Je conçois mes peintures en harmonie avec d’autres médias.

  • En ce moment, vous exposez à La Cellule. Depuis combien de temps vos œuvres sont-elles exposées et jusque quand les visiteurs pourront les retrouver ?

  • Mes œuvres sont présentes depuis le début du mois d’avril et seront exposées jusqu’au 21 mai. Peu de temps après, je les exposerai à Hasselt, soit le dernier week-end du mois de mai. Elles ont été sélectionnées pour une exposition collective autour du thème « Silence », une organisation de Kunzthuiz.

  • Quelles œuvres exposez-vous à La Cellule ?

  • La série s'appelle Études et il s’agit d’un jeu de mots car d'une part, ce terme est fréquemment utilisé dans la peinture. D’autre part, il fait référence aux enfants qui étudient à l’école. Les titres attribués à chaque peinture sont toujours des professions, inscrites sur de petites plaques en laiton situées sous les œuvres. Ces métiers, tels que « directeur adjoint », « soixante-huitard » (bien que ce ne soit pas vraiment une profession), « sapeur-pompier » et « échevin », renvoient au futur de ces enfants. Ils symbolisent la promesse de l’enfance, les rêves qu'un enfant peut nourrir et la réalité de ce qu'il devient. A-t-il pu réaliser ses rêves ? En général, on se rend compte qu’on ne les réalise pas parce que nous sommes limités par des circonstances qui nous sont imposées par la société, la famille, l’éducation et bien d’autres. On est souvent réduit au silence. Il y a donc un décalage entre une promesse de liberté pendant l’enfance et les limites qui nous sont imposées lorsque nous grandissons.

  • Comment décririez-vous votre style ?

  • Mon style mêle le figuratif, le narratif, le storytelling, la nostalgie, le réalisme et le portrait. Même s’il y a presque toujours des personnes sur mes œuvres, je ne me limite pas qu’au portrait. Je suis particulièrement fascinée par les objets, car, pour moi, ils ont la capacité d'évoquer des émotions profondes.

    Prenons l'exemple d'un pot que j'ai retrouvé en vidant la maison de mes parents. Pour moi, ce pot est chargé de significations et d'émotions. Je l'ai peint à plusieurs reprises, chaque fois de manière réaliste, mais j’essaie de dégager cette émotion par les couleurs et le travail avec les flous. Une de mes créations, mettant en scène ce pot, sera exposée à l'Arsenal de Venise. Cette opportunité est d'une grande importance pour moi, car l'Arsenal est un haut lieu de la culture. Elle a été choisie pour le « Arte Laguna Prize », et c'est la deuxième fois que j'ai l'honneur d'être sélectionnée .

    Etude d'un pot fermé - photo de Guido Janssens
    Etude d'un pot fermé - photo de Guido Janssens

    Mon travail allie réalisme et émotion, et j'aime travailler avec les gris de Payne, un gris, légèrement teinté de bleu, car je trouve que l'on peut presque peindre la couleur et la lumière. Il apporte une touche moderne et fraîche à mes compositions. En ce qui concerne les formats, soit je travaille avec des œuvres très grandes ou, au contraire, très petites. Cette année, j'ai réalisé ma plus grande peinture, représentant des enfants montant un escalier. Elle mesure deux fois 3 mètres de hauteur sur 1,70 mètre de largeur et a été exposée à Berlin lors d'une exposition collective intitulée « Mo No ».

    Epiphany #1  - photo de Guido Janssens
    Epiphany #1 - photo de Guido Janssens

  • J'ai remarqué qu'il y avait toujours un élément peint en rouge sur les peintures exposées à La Cellule. Pourquoi ce choix ? Y a-t-il une symbolique ?

  • Cette série Études fait référence à une amertume face aux limites imposées par la vie extérieure. Les collants posés sur les bouches des enfants évoquent un symbole agressif, une forme de censure ou de contrainte. Le garçon qui dévore son propre cœur suscite également des réactions fortes. Dans cette peinture, un clin d’œil au poème de Stephen Crane intitulé « In the Desert » est présent. Quant au bonnet d’âne posé sur l’enfant, c’est pour rappeler qu’on n'est pas toujours apprécié pour ce qu’on vaut. Le choix du rouge, présent sur le monochrome, renforce cette idée d’agressivité. Ce rouge symbolise le regard et les obligations envers les autres.

  • Vous faites partie du collectif Grosses Lacunes avec Guido Janssens et Stephan Vee, comment le collectif s'est-il créé ?

  • En 2020, le collectif a vu le jour sous l’impulsion du Comptoir des Ressources Créatives. L’objectif initial était de créer une exposition et d'explorer les possibilités de collaboration. Malheureusement, cette exposition n'a jamais eu lieu à cause la pandémie de la Covid-19. Cependant, cela n'a pas découragé notre collectif. Nous avons décidé de persévérer et de collaborer à distance, en organisant des visioconférences.

    Chaque semaine, nous tirions au sort un thème, et pour la semaine suivante, chacun de nous créait une œuvre en lien avec ce thème. Nous avons également réalisé des vidéos récapitulatives de nos créations. Je me souviens du nom du premier thème, il s’appelait « C'est trop tard ». Grâce cette collaboration alternative, nous avons obtenu un subside du programme « Un futur pour la culture ».

    Par la suite, le CRC nous a parlé de La Cellule, une vitrine disponible pour nos expositions. Chaque personne du collectif expose une fois par an et nous invitons d’autres artistes pour exposer aussi. Pour la deuxième édition de « Un futur pour la culture », nous avons organisé un festival d'art contemporain, Grand Écart. C'était une collaboration avec le festival de musique classique de l'Été Mosan. On a fait des expositions lors des concerts et dans certains lieux avec une valeur patrimoniale, comme la Citadelle de Dînant et l'abbaye Notre-Dame de Grandpré à Faulx-les-Tombes (Gesves).

  • Avez-vous quelque chose à ajouter ?

  • Tout au long de ma vie, j'ai passé mes vacances en Espagne et j’ai beaucoup de contacts artistiques là-bas. De plus, l’inspiration que me donne l'Espagne prend de en plus d'importance dans ma vie. Actuellement, je me consacre à une série de peintures qui trouve son essence dans la région d’Almería.

  • Pourquoi l'Espagne est-elle une source d’inspiration pour vous ?

  • Je me sens très à l’aise avec cette culture. Lors de mes premières vacances à Tenerife, j'ai immédiatement eu l'impression d'être chez moi. J'ai rapidement fait la connaissance de personnes, qui sont devenues des amis. Nous entretenons des liens avec les galeries et le musée d'art contemporain. J'apprécie énormément la manière de penser et la façon d'appréhender la vie en Espagne. Il y a un certain goût, un plaisir que je trouve là-bas. Les paysages que j'utilise dans ma nouvelle série sont des déserts et il n’y en a pas chez nous. Actuellement, je travaille sur une série mettant en scène une petite fille vêtue d'un manteau rouge. Elle accomplit des gestes anodins et étranges. J’ai photographié cette fille en Belgique et j'ai composé mes œuvres en intégrant les paysages espagnols. Ces œuvres traitent de la banalité de nos actions quotidiennes. Cette enfant semble perdue, et nous le sommes tous un peu. Malgré l'aspect émotionnel présent dans mes peintures, j'essaie d’adopter une approche rationnelle. Par exemple, je participe à des concours. Je n’en ai encore jamais remporté un, mais je suis souvent finaliste. Depuis un an, cela fonctionne plutôt bien, j’ai été sélectionnée dans six concours. Actuellement, je suis à la recherche d'une galerie pour me représenter. J’ai participé à plusieurs expositions collectives en galerie, mais je n’ai par exemple pas encore fait d’exposition en solo en galerie, quoique j’ai fait plusieurs expos en solo dans d’autres types de lieu.

    L'agenda de Gerda :

  • 2/04 au 20/05 : Exposition à La Cellule, à Charleroi
  • 24 au 26/05: Exposition collective « Silence » à l’abbaye de Herkenrode, à Hasselt (organisation Kunzthuiz)
  • 11/05 au 25/08 : Exposition MiniARTures à WG Gallery, à Dordrecht, aux Pays-Bas (organisation FiKVa – Figuratieve Kunst Vandaag)
  • 25 au 26/05 : Parcours d’artistes à Feluy
  • 16/11 au 8/12 : Arte Laguna Prize group show à l’Arsenal de Venise, en Italie
  • 1/07 au 1/09 : Exposition collective sur Ensor à la Galerie P, à Oostende
  • Retrouvez Gerda Van Damme sur :

  • Son site Internet :
  • https://gerdavandamme.com/

  • Instagram :

  • gerdavandamme

  • Site internet de La Cellule :

  • https://www.lacellule.be

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    Publié le 22 Avril 2024 par

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